Revue de Presse N°28 - 2019
DANS LA PRESSE…
La transplantation rénale ABO incompatible
L’implication des groupes sanguins en dehors de la transfusion sanguine et de l’obstétrique est connue depuis très longtemps notamment en transplantation rénale. Une méta-analyse montre que la survie du patient et du transplant est moins bonne à court et moyen terme lors de la transplantation rénale ABO incompatible (Scurt et al. Clinical outcomes after ABO-incompatible renal transplantation: a systematic review and meta-analysis. The Lancet 2019;393:2059-2072 et Comment: Currie and Henderson The Lancet 2019;393:2014-2016).
Les auteurs ont inclus 40 études publiées entre le 27 janvier 1998 et le 1er septembre 2017. Ces études totalisaient 65 063 receveurs et comprenaient des receveurs pédiatriques. Un total de 7098 patients avait été traité avec un transplant rénal ABO incompatible.
Les auteurs se sont intéressés à la survie du receveur et du transplant à 1, 3, 5 et 8 ans et plus mais également aux complications infectieuses et non infectieuses et au rejet du transplant. La comparaison a été effectuée entre receveurs ayant bénéficié d’une transplantation rénale ABO compatible et ABO incompatible.
Sur le plan de la mortalité, celle-ci était augmentée à 1 an, 3 ans et 5 ans chez les receveurs de transplantation rénale ABO incompatible mais plus à 8 ans et au-delà. La survie du transplant était diminuée à 1 et 3 ans avec un transplant ABO incompatible mais pas au-delà. L’augmentation de la mortalité en valeur absolue se situait entre 0,8 et 1,6 sur toute cette période. La proportion de patients avec infection était plus élevée après transplantation ABO incompatible. De même, les patients avec transplantation ABO incompatible avaient plus de révision chirurgicale, de saignement, d’hématome et de lymphocèle.
Le taux de patients avec rejet aigu lié aux anticorps était plus élevé après transplantation ABO incompatible qu’ABO compatible. L’analyse de sous-groupes avec protocoles de désensibilisation comportant du rituximab ou non a été réalisée. La mortalité était plus élevée à 1 et 3 ans chez les transplantés ABO incompatible que chez les ABO compatible sans tenir compte du protocole initial de désensibilisation (avec ou sans rituximab). A 5 ans, la transplantation ABO incompatible n’était plus associée à une surmortalité dans le groupe traité par rituximab.
Le risque de sepsis et d’infections par le cytomégalovirus était plus élevé après transplantation ABO incompatible qu’après transplantation ABO compatible chez les patients ne recevant pas de traitement désensibilisant.
Les auteurs notent que l’analyse statistique montre un bénéfice net de la transplantation rénale ABO compatible sur les 5 ans qui suivent la transplantation. Avec l’utilisation de traitements de désensibilisation, un surcroît de mortalité n’était seulement observé que dans les trois premières années et la survie du transplant devient similaire dans la première année. Ils ajoutent que la surmortalité peut être surmontée en affinant les protocoles d’immunosuppression initiaux et en les individualisant.
Parmi les points limitants, les auteurs relèvent les différences dans les protocoles de désensibilisation, la période d’observation plus courte que 5 ans dans des études, l’hétérogénéité des inclusions. Ils considèrent que si l’évolution sur les 3 premières années post-transplantation est mauvaise avec les transplantations ABO incompatibles, leurs résultats ne doivent pas être considérés concluants.
Anticorps anti-érythrocytaires dans le lait maternel et évolution de la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né
L’allaitement maternel joue un rôle important dans la protection du nouveau-né et du nourrisson par le biais des immunoglobulines présentes dans le lait (IgA, IgG, IgM) et transmises passivement. Néanmoins, le transfert d’anticorps anti-érythrocytaires maternels par cette voie est à l’origine, dans certains cas, de la persistance de signes cliniques et biologiques de la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né comme vient de le démontrer un article rapportant trois observations (Leonard et al. Identification of red blood cell antibodies in maternal breast milk implicated in prolonged hemolytic disease of the fetus and newborn. Transfusion 2019;59:1183-1189).
Comme le rappellent les auteurs, les IgG présentent dans le lait peuvent être reconnues par les récepteurs Fc des entérocytes de la muqueuse duodénale et jéjunale et transférées intactes dans le sang de l’enfant. Cette donnée crée un risque théorique de persistance de la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né au cours de la période d’allaitement des enfants.
Le sérum et le lait maternels ont été testés en parallèle afin de rechercher des anticorps anti-érythrocytaires. Pour le lait, des échantillons frais ont été évalués par une méthode en tube avec de l’anti-immunoglobuline humaine (AGH), en saline, à 37° C et une incubation de 60 minutes. Du lait frais d’une donneuse de groupe O RH1 a été utilisé comme contrôle (détection de réactivités dues au lait lui-même).
Les auteurs rapportent trois cas de maladie hémolytique prolongée avec présence d’anticorps anti-érythrocytaires dans le lait maternel : deux avec anti-RH1 (D) et un avec anti- JK1(Jka).
Dans le premier cas, l’enfant, qui avait été transféré en soins intensifs pour une tachycardie à 180 et un ictère au niveau de l’abdomen (taux de bilirubine à 17 mg /L et hématocrite à 38%), avait bénéficié d’une photothérapie pendant 10 jours. Il a été ré-hospitalisé à 2, 5 et 8 semaines pour une anémie symptomatique et transfusion de globules rouges. A chaque admission, le test direct à l’AGH demeurait positif (3 à 4+) pour des IgG seules et la présence d’anticorps anti-RH1 (sérum et éluat). A 2 mois, la mère présentait un anticorps anti-RH1 dans le sérum, titrant 4096 et dans le lait, titrant 64. A 4 mois, le titre de l’anticorps anti-RH1 dans le lait atteignait 512. L’allaitement maternel a été presque arrêté à 2 mois. Une remontée très progressive du taux d’hémoglobine a été observée chez l’enfant après cet arrêt.
Dans le second cas, l’enfant a été hospitalisé à 12 jours de vie pour un murmure systolique, une hépatosplénomégalie modérée sans ictère, ni céphalhématome. Le taux d’hémoglobine était à 44 g/L et le test direct à l’AGH à 4+ avec exclusivement des IgG. La présence d’anticorps anti-RH1 a été détectée dans le lait maternel. Cet anticorps a également été mis en évidence dans le sérum de l’enfant. Il a été transfusé avec des concentrés de globules rouges compatibilisés. L’enfant a continué à être allaité sans réapparition de l’hémolyse.
Dans le dernier cas, une césarienne avait été pratiquée à 36 semaines de gestation en raison d’un hydramnios. La mère, JK-1 avait eu 16 ans avant l’accouchement un accident de voiture et été transfusée probablement avec des hématies JK1. Un anticorps anti-JK1 avait été mis en évidence lors de la première grossesse (durant celle-ci, le titre le plus élevé était de 64) et retrouvé au cours de la seconde (titre de 128 en début de grossesse). Une exsanguino-transfusion in utero avait été pratiquée à 27, 30 et 34 semaines de grossesse. A la naissance, le test direct à l’AGH était positif chez l’enfant. Une photothérapie a été réalisée pour une hyper bilirubinémie à 1 et 3 jours de vie. Une ré-hospitalisation dans les 24 heures a été nécessaire pour poursuivre la photothérapie. L’enfant a été de nouveau hospitalisé à 30 jours de vie pour une anémie symptomatique et une transfusion érythrocytaire JK-1. La présence d’anticorps anti-JK1 a été confirmée dans le lait (titre 1) et le sérum (titre 256) maternels. Le taux d’hémoglobine de l’enfant a chuté brièvement à 86 g/L à 2 mois mais a commencé à remonter en dépit de l’allaitement maternel. L’anémie était corrigée à 4 mois.
Chez les mères porteuses d’une alloimmunisation anti-érythrocytaire, l’allaitement maternel doit être considéré comme une source continue d’exposition de l’enfant à ces anticorps. Leur présence doit être recherchée. L’arrêt de l’allaitement doit être considéré au regard de ses bénéfices (dans deux des trois cas rapportés, il avait été poursuivi). Les auteurs abordent également la question des banques de lait et des donneuses de lait du point de vue de ces anticorps anti-érythrocytaires (transfert d’anticorps IgG et maladie hémolytique passive) en soulignant que le lait est administré notamment à des enfants prématurés en soins intensifs en vue d’obtenir une protection immunologique de ces patients vulnérables.
Echanges plasmatique et management des pathologies auto-immunes
Les pathologies auto-immunes sont très nombreuses et peuvent atteindre une grande variété d’organes. Si la connaissance des mécanismes de ces pathologies et leur prise en charge thérapeutique ont significativement progressé, l’échange plasmatique thérapeutique conserve une place très importante dans leur traitement. Dans une récente revue, Zanetta et al. (The role of plasma exchange in the management of autoimmune disorders. British Journal of Haematology 2019;186:207-219) apportent une vue sur l’état actuel de cette place.
Les auteurs rappellent les mécanismes d’action des échanges plasmatiques qui sont nombreux : épuration des anticorps et des complexes immuns, sensibilisation des cellules productrices d’anticorps aux immunosuppresseurs et à la chimiothérapie, épuration de cytokines et de molécules d’adhésion, remplacement de molécules plasmatiques manquantes, modification du ratio des cellules T helper (Th1/Th2).
L’utilisation des échanges plasmatiques dans les pathologies auto-immunes hématologiques est exposée en particulier dans le cadre des microangiopathies thrombotiques (MAT) (purpura thrombopénique thrombopathique, syndrome hémolytique urémique). Les autres pathologies auto-immunes dont l’anémie hémolytique auto-immune et le purpura thrombopénique auto-immun sont abordées. Enfin les auteurs détaillent l’emploi des échanges plasmatiques dans les pathologies non auto-immunes : vascularites, lupus érythémateux disséminé, …
Les auteurs concluent que l’échange plasmatique thérapeutique demeure un outil parfois crucial dans le traitement des pathologies auto-immunes notamment en phase aiguë, lorsqu’il existe une non réponse à la thérapeutique standard ou lorsqu’il n’est pas possible d’attendre la réponse des médicaments habituellement utilisés. Les équipes soignantes doivent être hautement qualifiées aux procédures d’aphérèse et disponibles à tout moment.
Pierre MONCHARMONT